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Legal & Compliance

DAO et Droit Français : La Solution Inattendue Venue d'Alsace-Moselle

45:32 11 min lecture
Jérémy Asta Vola

Jérémy Asta Vola

Avocat spécialisé Web3 @ MORELL ALART & Associés

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#DAO #Droit #Régulation #Association #Gouvernance

Résumé

Discussion approfondie sur la structuration juridique des DAO en France, avec un focus sur l'association d'Alsace-Moselle comme solution innovante permettant gouvernance collégiale et distribution de bénéfices.

Points Clés

  • Les DAO non structurées exposent leurs membres à une responsabilité personnelle illimitée
  • L'association loi 1901 classique ne permet pas la rémunération des membres actifs
  • L'association d'Alsace-Moselle permet le but lucratif et la gouvernance collégiale
  • Un cadre juridique sui generis pour les DAO reste nécessaire à long terme

Une rencontre entre innovation blockchain et héritage juridique germanique

Compte-rendu du Builder Talk The Arch avec Jérémy Asta Vola, avocat spécialisé en restructuration d’entreprises et droit Web3


Vous avez créé une DAO. Vous avez des token holders actifs, une gouvernance décentralisée qui fonctionne, peut-être même une activité commerciale qui démarre. Tout va bien… jusqu’au jour où vous vous posez LA question : “Mais juridiquement, on existe vraiment ?”

C’est exactement cette problématique que Jérémy Asta Vola, avocat depuis 20 ans et membre actif de l’écosystème Web3 français, est venu décortiquer lors de notre dernier Builder Talk. Et spoiler : la solution pourrait bien venir d’un texte juridique vieux de plus d’un siècle, hérité de l’époque où l’Alsace-Moselle était sous Empire germanique.


🚨 Le danger silencieux des DAO non structurées

Commençons par le commencement : pourquoi structurer juridiquement une DAO ?

“Une DAO sans personnalité juridique, c’est comme conduire sans assurance”, explique Jérémy. “Tout va bien tant qu’il n’y a pas d’accident. Mais le jour où ça arrive…”

Les risques concrets

1. La responsabilité personnelle illimitée

Imaginez : votre DAO commet une erreur qui cause un préjudice à un tiers. Qui est responsable ? En l’absence de structure juridique, ce sont les membres votants qui peuvent être personnellement tenus responsables. Et pas de manière proportionnelle : solidairement et indéfiniment.

Concrètement, si un créancier identifie un seul membre de la DAO, il peut lui réclamer l’intégralité de son préjudice. À charge pour ce membre de se retourner ensuite contre les autres.

2. La société créée de fait

Dès que plusieurs personnes se réunissent pour partager des profits et des pertes, le droit français considère qu’il y a potentiellement une “société créée de fait”. Et là, c’est l’ouverture de la boîte de Pandore :

  • Responsabilité indéfinie et solidaire
  • Dirigeants de fait automatiquement désignés (ceux qui votent)
  • Fraude fiscale potentielle

3. Les délais de prescription qui tuent

  • Responsabilité civile : 5 ans
  • Responsabilité pénale : 6 ans
  • Fraude fiscale : jusqu’à 10 ans

“On peut venir vous chercher longtemps après les faits”, prévient Jérémy. Un précédent américain l’a déjà démontré : Ooki DAO a été reconnu comme une société de fait par un tribunal fédéral californien en 2022.


🏛️ La fausse bonne idée : l’association loi 1901 classique

Face à ces risques, la première réaction est souvent : “Créons une association loi 1901 !”

Et effectivement, cette solution a de vrais avantages :

Personnalité juridique → protection des membres
Responsabilité limitée → séparation des patrimoines
Gouvernance collégiale possible → pas besoin de pyramide hiérarchique
Légèreté administrative → simple déclaration en préfecture
Activité commerciale autorisée → sous certaines conditions

Le mur invisible

Tout semble parfait jusqu’à ce qu’on aborde la question fatidique : “Et comment on rémunère les membres actifs ?”

C’est là que le système s’effondre.

L’association loi 1901 est sans but lucratif. Cela signifie :

  • ❌ Pas de distribution de bénéfices aux membres
  • ❌ Rémunération des dirigeants limitée à 1/3 du SMIC (~400-500 €/mois)
  • ❌ Si vous rémunérez quand même → risque de requalification en société créée de fait

“On avait trouvé la gouvernance collégiale, la personnalité juridique, la responsabilité limitée, l’activité commerciale… mais impossible de distribuer les fruits du travail”, résume Jérémy. “On était coincés.”

Les contournements qui ne fonctionnent pas

Option A : Les auto-entrepreneurs
”On va faire des prestations de service !” Problème : risque majeur de requalification en contrat de travail si :

  • Il y a un lien de subordination (la DAO donne des instructions)
  • L’auto-entrepreneur tire l’essentiel de ses revenus de la DAO

Option B : Association mère + société fille
”On met la gouvernance dans l’association et l’activité commerciale dans une société en dessous !” Problème :

  • Confusion des patrimoines quasi-certaine
  • En réalité, c’est toujours un dirigeant unique qui gère la société
  • Fausse gouvernance collégiale

🎯 La découverte : l’association d’Alsace-Moselle

C’est en discutant avec Béatrice Guillaume, spécialiste du droit des associations, que Jérémy tombe sur un régime juridique méconnu : l’association de droit local d’Alsace-Moselle.

Un héritage de l’Histoire

Petit cours d’histoire express : lorsque l’Alsace-Moselle a été annexée par l’Empire germanique au 19e siècle, le territoire a adopté le droit allemand. Quand ces régions sont revenues à la France, certaines spécificités ont été conservées :

  • Les jours fériés (le 26 décembre)
  • Le régime des cultes (pas de séparation Église-État)
  • Le droit de la chasse
  • Et le droit des associations

Le game changer : le but lucratif

Contrairement à l’association loi 1901, l’association d’Alsace-Moselle peut avoir un but lucratif.

Cela change absolument tout.

Vous conservez :

  • ✅ La personnalité juridique
  • ✅ La responsabilité limitée
  • ✅ La gouvernance collégiale
  • ✅ L’activité commerciale
  • ✅ La flexibilité

Vous gagnez en plus :

  • La distribution des bénéfices aux membres
  • ✨ La rémunération des token holders actifs
  • ✨ La possibilité de fusionner plusieurs associations
  • ✨ Un vrai boni de liquidation en cas de dissolution

“C’est un clin d’œil amusant”, sourit Jérémy. “Utiliser un régime innovant qui date du 19e siècle pour structurer la technologie la plus moderne du 21e siècle.”


📋 Mode d’emploi : Comment créer votre DAO en Alsace-Moselle

Les conditions

1. Siège social en Alsace-Moselle
Pas besoin d’avoir un bureau sur place. Une simple domiciliation suffit (boîte aux lettres, ou même domiciliation en mairie).

2. Minimum 7 membres fondateurs
Attention : 7 personnes à la création. Mais une fois l’association créée, vous pouvez redescendre à 3 membres.

3. Contrôle préalable du tribunal judiciaire
Contrairement à la loi 1901 (simple déclaration préfecture), il y a un contrôle préalable pour vérifier que l’objet est légal et conforme à l’ordre public.

4. Publication au BODACC
Comme pour une société commerciale, il faut publier dans un journal d’annonces légales (coût légèrement supérieur).

La gouvernance collégiale

Le point crucial : tous les token holders peuvent faire partie du comité de gouvernance.

Plus besoin de président/trésorier/secrétaire général. On crée un organe collégial où chaque membre votant est considéré comme co-dirigeant.

L’effet “dilution de responsabilité”

Un insight brillant de Jérémy : “Imaginez 500 dirigeants. Si une faute est commise, il faudra actionner les 500 personnes qui ont voté dans ce sens. Juridiquement, c’est un cauchemar pour un tiers qui voudrait vous poursuivre.”

Plus la gouvernance est large, plus il est difficile d’actionner la responsabilité en pratique.


⚠️ Les précautions à connaître

1. L’anonymat, c’est terminé

“À partir du moment où vous structurez juridiquement, vous devez déclarer l’identité complète des dirigeants”, rappelle Jérémy.

Ces informations sont accessibles à tout tiers intéressé. Aucune structure juridique française ne permet de maintenir l’anonymat tout en ayant une vraie gouvernance collégiale.

Une piste à explorer (encore théorique) : un tiers de confiance (avocat) qui détiendrait les identités et ne déclarerait que les adresses de portefeuille ?

2. Les relations avec les prestataires

Si vous travaillez avec des auto-entrepreneurs ou des SASU, attention à :

  • Ne pas créer de lien de subordination (pas d’instructions hiérarchiques)
  • Éviter la dépendance économique (l’idéal : moins de 10 % du CA du prestataire)
  • Respecter des préavis en cas de rupture (environ 1 mois par année de relation commerciale)

3. Les coûts

L’association d’Alsace-Moselle est plus chère qu’une loi 1901 classique, mais bien moins qu’une société commerciale :

  • Frais de greffe du tribunal judiciaire
  • Publication BODACC
  • Comptabilité commerciale obligatoire

Mais pas de frais à chaque changement de gouvernance (contrairement à une société où chaque modification de dirigeant coûte cher).


🔮 Et demain ? Vers une structure sui generis

Jérémy est lucide : “L’association d’Alsace-Moselle est une excellente solution en attendant mieux. Mais on a besoin d’une structure sui generis, spécialement créée pour les DAO.”

Plusieurs avocats français travaillent actuellement à faire avancer ce sujet auprès du législateur. L’objectif : créer un cadre juridique qui reconnaîtrait nativement :

  • La gouvernance par smart contracts
  • La décentralisation
  • La transparence on-chain
  • La participation des token holders

Le Wyoming aux États-Unis a déjà créé la “DAO LLC”. L’Europe pourrait suivre avec le règlement MiCA qui évolue.


🎬 Conclusion : Une innovation juridique pour une révolution technologique

La structuration juridique des DAO est un sujet complexe, mais absolument crucial pour la pérennité de l’écosystème Web3 en France.

Les enseignements clés à retenir :

  1. Ne pas structurer = prendre des risques majeurs (responsabilité personnelle, fiscalité)
  2. La loi 1901 classique a ses limites (pas de distribution de bénéfices)
  3. L’Alsace-Moselle offre une solution viable (but lucratif + gouvernance collégiale)
  4. L’anonymat n’est pas compatible avec une structure juridique actuelle
  5. Un cadre sui generis reste nécessaire pour l’avenir

Comme le souligne Jérémy : “Notre objectif n’est pas de garder cette solution pour nous. On veut la partager, la tester, l’améliorer avec la communauté. Le but, c’est de favoriser l’émergence et l’adoption des DAO en France.”


📚 Pour aller plus loin

  • Article complet de Jérémy Asta Vola et Béatrice Guillaume sur LinkedIn
  • Communauté The Arch : rejoignez 1000+ passionnés Web3 sur Discord
  • Builder Talks tous les lundis avec des experts de l’écosystème
  • Contact : Cabinet Morel-Allard pour accompagnement juridique Web3

Cet article est un compte-rendu du Builder Talk The Arch. Les informations juridiques présentées sont données à titre informatif et ne constituent pas un conseil juridique. Pour toute question spécifique à votre projet, consultez un avocat spécialisé.


Et vous, avez-vous déjà structuré votre DAO ? Partagez votre expérience dans les commentaires ! 💬


Merci à Jérémy Asta Vola pour sa disponibilité et son expertise, et à toute l’équipe The Arch pour l’organisation de ces Builder Talks essentiels à l’écosystème Web3 français. 🙏

Défi

Les DAO françaises manquent d'un cadre juridique adapté, créant des risques majeurs de responsabilité personnelle et de requalification fiscale.

Solution

Utiliser l'association de droit local d'Alsace-Moselle qui permet le but lucratif, la gouvernance collégiale et la distribution de bénéfices tout en protégeant les membres.

Résultats

  • Solution juridique viable pour les DAO en attendant un cadre sui generis
  • Protection de la responsabilité des membres
  • Possibilité de rémunération des token holders actifs

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